Mémoires contemporaines (partie 1)
MEMOIRES
CONTEMPORAINES
Le présent chapitre constitue une approche préliminaire de la vie de la commune de Hillion au cours du XXe siècle. Il n’a pour objet que de fournir quelques repères sur une période pour laquelle les documents d’archives sont très nombreux, et les témoins de certains faits encore bien présents, détenteurs d’une mémoire que les adhérents de l’association ont commencé de collecter. Le temps presse en effet, les témoins du début du XXe siècle, notamment de la guerre 14-18, ont tous disparus, mais leurs enfants, très âgés, ont encore le souvenir de ce que leurs parents leur ont dit. Ceux qui ont connus la guerre 39-45 sont de moins en moins nombreux, ceux de la guerre d’Algérie prennent de l’âge.
Les faits relatés dans ce chapitre ne constituent donc souvent qu’une base pour comprendre la vie de la commune au XXe siècle. Un très important travail de collecte, d’analyse et de synthèse de la guerre 14-18 a été entrepris depuis plus d’une année par l’association. Il fera l’objet de compléments qui seront mis en ligne prochainement. L’association poursuit ses investigations pour présenter en 2018, centième anniversaire de la fin de la guerre 14-18, une monographie sur celle-ci. D’autres suivront sur la guerre 39-45 et sur la guerre d’Algérie. Le travail à réaliser est important, et notre association est encore bien récente !
Le tournant du XXe siècle
Le XXème siècle commence comme a fini le XIXème. Le « poids » des châteaux à Hillion conditionne toujours un certain mode de pensée. La vie religieuse est toujours intense. Mais la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat va faire souffler sur les campagnes un vent de révolution que celle de 1989 avait à peine effleuré.
Quelques données sur la vie à Hillion
Le recensement de 1912 apporte de nombreuses informations sur la vie des habitants au début du siècle.
Sur 2304 habitants, 528 se déclarent cultivateurs. Si on y ajoute deux femmes qui se disent cultivatrices, les 128 domestiques agricoles (hommes et femmes) et les 4 journaliers, ce sont 662 personnes qui vivent de l’agriculture : ils sont évidemment majoritaires parmi les adultes actifs, dans cette Bretagne encore très rurale.
Les autres métiers masculins représentent 164 individus. Les professions rencontrées sont en majorité celles de marin (21), maçon (22), menuisier, et débitant (8).
Les autres professions (toutes moins de 6 personnes) sont douanier, prêtre, berger, garde maritime, cordonnier, boulanger, carrier, maréchal-ferrant, forgeron, cuisinier, ouvrier, tailleurs, employé, jardinier, boucher, instituteur, gendarme, charron, charpentier, tisserand, Buraliste, cocher, valet de chambre, bourrelier, palefrenier, foulonnier, meunier, couvreur et aubergiste.
Une quinzaine de retraités, 3 rentiers, 4 propriétaires complètent ce tableau.
Chez les femmes, elles sont à une très grande majorité « ménagères » 737 personnes sont intitulées ainsi.
Mais elles exercent également souvent une autre profession surtout quand elles sont femmes d’agriculteurs, ce qui représente la majorité des cas. Ce qui, si on ajoute toutes les professions liées à l’agriculture, indique, sans surprise, que la majeure partie de la population vit de cette activité.
Les autres métiers rencontrés chez les femmes sont couturière (23) institutrices (10) servantes (16). Sinon on trouve repasseuse, bergère, religieuse, commerçante, tailleur, cuisinière, débitante, lingère, lavandière, aubergiste et factrice. Une quinzaine sont indiquées « sans profession ».
Ces chiffres bruts que l’on trouve dans ce recensement feront l’objet ultérieurement d’une analyse, avec l’apport d’autres documents. Mais d’ores et déjà, la lecture de ces diverses professions dessine une commune très rurale, avec une multiplicité de métiers différents, et la présence de châteaux disposant d’un personnel spécifique : c’est tout un monde bien révolu qui se profile.
647 enfants (en général de moins de 15 ans) sont recensés (319 garçons et 328 filles) soit 29% mais ce n’est pas exact à 100%, car nombre d’enfants de moins de 16 ans sont déclarés comme cultivateur, domestique ou berger (garçons) et repasseuse, lingère, bergère, voire ménagère (filles).
La répartition par sexe est à l’avantage des femmes Elles sont environ 1200 pour 1100 hommes.
Il y a 283 personnes de plus de 60 ans (soit 12,5%) et qui se répartissent sans surprise entre 122 hommes – le plus âgé a 88 ans, il s’agit de Joseph Cabaret de la Ville Clavet – et 161 femmes, la plus âgée qui a 91 ans est Jeanne Le Corguillé des Grèves.
La vie des paysans à Hillion au début du XXème siècle
Au début du XXème siècle, le nombre de paysans propriétaires de leur terre a considérablement augmenté. Un peu plus à St René qu’à Hillion où l’inféodation aux nobles est encore importante, ce qui constitue depuis 1870 une différence notable entre les deux populations.
Le métayage est une exception. Le bail à terme est fréquent. Ce bail commence en automne, le plus souvent à la Saint-Michel. C’est à cette date qu’on paye le loyer. A Hillion, on rencontre le bail à domaine congéable. L’exploitant est locataire du fonds, le domanier, mais il est propriétaire de tous les édifices et superficies : maison, hangars, four, puits, chemins, talus, barrières et même herbe des prairies. Le bailleur n’est propriétaire que du sol et des arbres. Ce bail est signé pour une longue durée, 28 ans en général. Chacune des deux parties peut donner congé à ce terme, mais en cas le propriétaire foncier doit verser à son domanier le prix intégral de tous les édifices et superficies. Ce type de bail a été d’une grande utilité au point de vue social. Il a permis la mise en valeur des terres incultes. Le travail du laboureur n’est ainsi jamais perdu.
Le paysan de Hillion du début du XXème siècle vit dans une société communautaire. Les rapports entre les domestiques, la famille exploitante et les voisins sont basés sous le signe de l’échange et de la solidarité.
Certains gros travaux comme les défrichements, la fenaison, la moisson, les battages, les grands charrois exigeaient une main d’œuvre nombreuse, et souvent les voisins s’aident pour ces tâches. Par la suite, cela perdurera avec la mise en commun des outils agricoles coûteux.
Contrairement au cultivateur breton du centre, le paysan d’Hillion était favorisé par le sol riche en amendements calcaire tirés de la mer.
Les productions moyennes (à compléter)
Les progrès de l'agriculture : l’évolution des pratiques culturales, la ferme de Carmin
La Ferme de Carmin tenue par la famille Botrel est un excellent exemple du type d’exploitation améliorée de la région bretonne au début du XXème siècle (fiche 060140). Elle a fait l’objet d’une monographie complète en 1911 (fiche 210101).
C’est une ferme d’élevage de vaches laitières et de chevaux de trait. Sur les 55 hectares d’exploitation, les prairies et les plantes fourragères occupent une grande surface. Il reste quelques landes et le sarrasin est encore un peu cultivé.
Des pommiers à cidre sont plantés en ligne sur la moitié de l’exploitation.
La ferme trouve des débouchés pour tous ses produits, y compris le cidre, grâce à la route nationale Paris-Brest située à proximité et à la Gare d’Yffiniac toute proche.
La monographie donne le détail des terres. Ainsi l’on sait qu’il y a 11 hectares de prairies pour 38 de terres labourées et 6 de landes. Dans les terres labourées, les betteraves représentent 1,5 ha, les pomme de terre 3,25 ha, les choux et rutabagas près de 3 ha, le blé plus de 10 ha, le sarrasin 3 ha , les autres céréales le reste.
Dans les prairies, c’est surtout le trèfle violet sur 4 ha qui domine, la luzerne couvre 2,5 ha, sans compter des pois, des navets et du trèfle incarnat qui réussissent bien face à l’humidité du climat.
Le document évoque aussi le morcellement des terres, l’assolement et les tonnages de récoltes annuelles.
Pommes de terre 30t, Choux 60t, Rutabagas 42t, Luzerne 7t, Trèfle 6t et les pommes à cidre qui donnent 400 kg par arbre.
Enfin la monographie détaille les bâtiments, le bétail, son alimentation et les soins donnés aux pommiers. Le cidre se vend à l’époque 40 francs la barrique de 220 litres. (fiche 130201)
Ce document donne une photographie très circonstanciée de la vie d’une ferme moderne en ce début de XXème siècle, mais elle n’est pas représentative de la plupart des exploitations agricoles.
La construction des châteaux des Aubiers et des Marais, nouvelles représentations de la bourgeoisie d’affaires
Le XXème siècle commence à peine que deux châteaux de style néo-gothique sont construits à Hillion.
Le premier, le Château des Aubiers (fiche 010102) est érigé en 1883 par l’architecte Jules Mellet, fils de Jacques Mellet qui en a fait les plans en 1877. La propriété des Aubiers appartient à Charles-Sévère de la Noue, ancien Zouave Pontifical, conseiller général du canton sud de Saint-Brieuc, député des Côtes du Nord de 1889 à 1898 et c’est lui qui fait construire le château sans détruire tout à fait l’ancien manoir datant du XVème siècle.
Au XVe siècle, le domaine appartenait à la famille Dolo qui a les droits de moyenne justice, de colombier et de moulin à vent. Au XVIIe siècle, le domaine passe, par mariage, aux Visdelou, seigneurs de Bourgueil. Toussaint de La Villéon des Marais l'achète en 1681 et réunit le domaine des Marais à celui des Aubiers. Sa fille le reçoit en dot lors de son mariage avec M. de La Noue de Bogard, conseiller au Parlement de Bretagne. Un de leurs descendants épouse la fille de l'amiral de Villéon et leur fils fait construire de 1877 à 1883 le château actuel, dont la façade porte ses initiales. La grille d'entrée, les écuries et la porterie datent de la même époque. Le château est réalisé sur des plans de style néo-gothique, comme l'indiquent les tourelles, l'escalier monumental et les balustrades ajourées.
Le château est racheté en 1926 par René de Nantois.
Le Château des Marais (fiche 010103), son voisin, est terminé en 1901, par Angélique de Lourmel, petite-fille de Louis Toussaint Sébert, sur l’emplacement d’un ancien château appartenant aux familles de la Villéon (XVe-XVIIIe siècles).
Louis Sébert, négociant et armateur au Légué est un exemple de la bourgeoisie d’affaires et acquéreur de biens nationaux pendant la Révolution. Il est adjoint au Maire de St Brieuc.
Les écuries, la ferme et le pigeonnier sont construits en même temps
Charles de la Noue, député royaliste
Charles-Marie-Adolphe Sévère, vicomte de La Noue (6 mars 1843, Saint-Brieuc - 13 juillet 1908, château des Aubiers), est un homme politique français.
D'une famille de vieille noblesse bretonne qui compte parmi ses ancêtres La Noue Bras de fer, l'ami d'Henri IV, et petit-fils de l'amiral de La Villéon, il s'engagea dans les zouaves pontificaux en 1867, se battit à Mentana, et fit la guerre de 1870 dans la Légion de Charette des « Volontaires de l’Ouest. »
Licencié en droit, conseiller général du canton de Collinée depuis 1886, vice-président de la Société d'émulation, le vicomte de La Noue fut élu, le 25 novembre 1888, député des Côtes-du-Nord, en remplacement de Bélizal, décédé. Il était le seul candidat et se présenta comme royaliste, révisionniste des lois constitutionnelles de 1875 et protectionniste. Il siégea dans la droite royaliste. Charles de La Noüe fut réélu aux élections du 22 septembre 1889 et du 20 août 1893, comme royaliste.
Il était commandeur de l'ordre de Saint-Grégoire-le-Grand et chevalier de l'ordre de Pie IX.
Il fit construire le Château des Aubiers entre 1877 et 1885.
La loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat
La loi concernant la séparation des Eglises et de l'État1 est une loi adoptée le 9 décembre 1905 à l'initiative du député républicain-socialiste Aristide Briand, qui prend parti en faveur d’une laïcité sans excès. Elle est avant tout un acte fondateur dans l'affrontement violent qui a opposé deux conceptions sur la place des Eglises dans la société française pendant presque vingt-cinq ans.
Elle remplace le régime du concordat de 1801.
En Bretagne, la querelle des inventaires des biens de l’Eglise fut particulièrement virulente. La Querelle des inventaires est un ensemble de troubles survenus en de multiples régions de France, consécutif à la loi de séparation des Eglises et de l'État de 1905 et au décret du 29 décembre 1905, prévoyant l'inventaire des biens des Eglises, notamment de l'Eglise catholique, afin de préparer la dévolution de ces biens aux associations cultuelles définies dans l'article 4 de la loi. La mise en œuvre de cet inventaire suscita des conflits dans certaines régions de France, essentiellement les régions fortement catholiques
Dans « Le clocher d’Hillion » d’avril 1910, qui est le journal paroissial, l’hommage funèbre à Henri du Fou évoque cet aspect avec les mots du Vicomte de la Bintinaye :
« Mais au-dessus de toute chose, votre excellent maire plaçait les intérêts de la morale et de la Religion. Ainsi quand arriva l’heure des spoliations sacrilèges, nul ne lutta plus vaillamment pour la défense des droits de l’Eglise, nul ne donna plus généreusement pour conserver aux pères et aux mères de famille leurs droits sacrés sur la conscience et sur l’âme de leurs enfants. »
Les jeux et les fêtes
Au début du XXème siècle, les fêtes sont nombreuses en Bretagne, et particulièrement à Hillion. Tout d’abord les fêtes religieuses de pardon où les participants se détendent après la messe avec des jeux de boules ou de quilles. Les jeux de palets sont populaires également. Mais ce qui caractérise le plus Hillion, ce sont les courses de chevaux. Elles ont lieu bien entendu à Cesson, mais aussi sur la grève de Lermot, où une foule nombreuse est immortalisée par de nombreuses cartes postales.
Les spectateurs de ces courses peuvent compter pour se désaltérer de nombreux bistrots dont plusieurs à Lermot : le café Lorant qui possédait un grand jeu de boules et le café Dijon. Ce dernier, mieux placé car plus près de la plage accueillait beaucoup de gens de passage et pouvait héberger quelques vacanciers en période d'été. Ses deux jeux de boules étaient constamment animés car, libres d'accès, les enfants pouvaient s'y distraire et s'initier en dehors bien sûr des parties d'adultes dont l'enjeu était de faire payer la tournée aux perdants. En été on peut dire qu'il y avait foule. Le cidre était le plus souvent servi à la bolée directement à la tireuse mais il fut bientôt remplacé par le verre de vin souvent de mauvaise qualité et la bière dénommée couramment «un bock».
Mais les fêtes les plus populaires étaient les fêtes de Saint-René organisées chaque année. Il y avait des courses de chevaux, mais aussi des courses cyclistes, voire d’exhibitions de boxe et de sauts périlleux. L’affiche de 1911 fait même mention d’un « concours de fumeurs » !!!
Des athlètes, comme Louis Houeix en 1936, étaient parfois invités. Ces fêtes faisaient concurrence à une fête paroissiale qui avait elle aussi lieu à Saint René. A partir de 1919, de grands bals populaires sont organisés pendant ces fêtes et le Maire donne interdiction aux guinguettes d’en organiser le même jour.
Car les guinguettes sont aussi nombreuses et pas seulement à Lermot. Les gens dansent aux Ponts-Neufs au son de la vielle, plus répandue ici que le biniou et la bombarde, puis avec les orchestres musette qui feront florès dans les années 1930.
Les danses bretonnes restent populaires. Elles sont dansées aussi pendant les fêtes sur les grèves. Une sarabande d’Hillion est même célèbre.